IA et inquiétude chez les artistes : quel impact sur la création artistique ?

En 2023, plusieurs plateformes majeures d’illustration ont modifié leurs conditions d’utilisation pour interdire l’upload d’images générées par intelligence artificielle. Certains concours artistiques refusent désormais toute œuvre soupçonnée d’avoir été produite par une machine, même en partie. Dans le même temps, des institutions renommées exposent ouvertement des créations assistées par algorithmes et attribuent des prix à leurs auteurs.

Des voix s’élèvent pour dénoncer une confusion croissante autour de la notion d’originalité et d’auteur. Des collectifs professionnels déposent plainte contre des entreprises d’IA, tandis que des créateurs revendiquent l’usage d’outils génératifs au nom de l’innovation.

L’irruption de l’intelligence artificielle dans le paysage artistique : entre fascination et bouleversement

Impossible d’ignorer la vague : l’intelligence artificielle s’invite avec fracas dans le monde de l’art. Des générateurs comme Midjourney, DALL-E ou Stable Diffusion redessinent les contours de la création artistique. Les GenIA, ces IA génératives, produisent désormais images, textes, musiques, et même du code, à une cadence et dans des proportions inédites. Industries culturelles et industrie de la tech saisissent l’occasion, multipliant les usages. D’autres, à l’image de Mozilla.ai ou EleutherAI, défendent des alternatives libres et ouvertes pour tenter de contrebalancer la mainmise des géants du secteur.

Le prompt art s’installe : composer une œuvre en dictant simplement ses instructions à la machine. L’auteur devient chef d’orchestre, l’IA, instrument docile. Après la révolution des Digital Audio Workstations comme FruityLoops qui ont ouvert la production musicale au plus grand nombre, la GenIA généralise ce phénomène à la peinture, la photo, la littérature, le cinéma. Les bouleversements sont nombreux :

  • Automatisation et génération d’œuvres artistiques dans tous les domaines
  • Remise en question du modèle économique des industries culturelles
  • Production potentiellement décentralisée, plus horizontale

Cette accélération soulève une avalanche de questions, éthiques, mais aussi juridiques. À qui revient la propriété de l’œuvre générée ? Quel statut donner à l’artiste, et à la machine ? L’omniprésence d’outils propriétaires, détenus par OpenAI, Google, Microsoft ou Meta, alimente le débat. Face à cette mutation profonde du domaine artistique, une partie du secteur cherche encore ses marques, oscillant entre résistance et adaptation.

Quelles craintes pour les artistes face à la montée de l’IA créative ?

Pour beaucoup de créateurs, la pression monte. L’automatisation généralisée inquiète : photographes, illustrateurs, écrivains voient leur expertise bousculée par des algorithmes capables de produire des œuvres à la chaîne, sans fatigue ni revendication, sans la moindre empreinte personnelle. Les images générées par Midjourney, DALL-E ou Stable Diffusion saturent déjà les réseaux, interrogeant la place de l’humain dans la sphère créative. Certains dénoncent une dilution de la singularité, une perte du souffle humain au profit d’un flot continu de productions standardisées.

Le malaise traverse largement la profession. À Hollywood, les syndicats SAG-AFTRA et WGA s’organisent pour défendre scénaristes et comédiens, menacés de substitution. Des figures comme Meryl Streep ou Leonardo DiCaprio soutiennent ouvertement ces mobilisations. Et ce n’est pas tout : l’utilisation non consentie d’œuvres pour entraîner les IA provoque des réactions en chaîne. L’exemple de Kelly McKernan ou Sarah Andersen, qui portent plainte contre Stability AI et DeviantArt, illustre le bras de fer engagé. Côté littérature, l’Authors Guild, épaulée par George R. R. Martin et Jodi Picoult, attaque OpenAI sur la question de l’exploitation des textes.

Voici les principales inquiétudes qui traversent le secteur :

  • Menace directe sur l’emploi et la reconnaissance professionnelle
  • Perte de valeur de la création humaine face à l’abondance industrielle de contenus IA
  • Flou juridique autour du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle

La riposte s’organise. Le Parisien relaie une tribune portée par 34 000 artistes qui réclament une meilleure protection de leur travail. Naomi Klein pointe le risque de spoliation et appelle à un encadrement strict, tant éthique que légal. Ce bras de fer inédit entre créateurs et entreprises technologiques redessine les équilibres du processus artistique, bousculant tous les repères.

Originalité, droits d’auteur, reconnaissance : les nouveaux défis de la création à l’ère de l’IA

La notion d’originalité subit un choc frontal. Quand Julian Van Dieken revisite La Jeune Fille à la Perle via Midjourney pour une exposition au Mauritshuis Museum, la démarcation entre hommage, appropriation et nouveauté s’évapore. D’autres œuvres issues d’IA, comme le Portrait of Edmond de Belamy du collectif Obvious ou le Théâtre d’opéra spatial de Jason Allen, chamboulent les critères de légitimité artistique. Ces créations sont parfois primées ou vendues à prix d’or chez Christie’s, posant la question de la place de l’artiste face à la machine.

Les droits d’auteur sont fragilisés : l’entraînement des modèles génératifs sur des corpus d’œuvres existantes se fait souvent sans demander l’avis des créateurs. Les plaintes de l’Authors Guild ou de figures comme Kelly McKernan et Sarah Andersen, à l’encontre d’OpenAI et Stability AI, témoignent d’un malaise profond. L’AI Act européen tente de poser quelques barrières : obligation de transparence sur les contenus d’entraînement, mention explicite des sources utilisées. La Sacem, de son côté, réfléchit à de nouveaux modes de rémunération pour les ayants droit, mais la route reste longue et incertaine.

Ce bouleversement remet sur la table une interrogation vieille comme l’art : qu’est-ce qu’une œuvre authentique ? Les GAN de Mario Klingemann, les installations de Refik Anadol exposées au MoMA, déplacent la question de la paternité. L’algorithme devient parfois simple outil, parfois véritable partenaire, parfois concurrent. La création, saisie par l’automatisation, se retrouve à la croisée des chemins : la reconnaissance, la propriété, la singularité n’ont jamais autant été en débat.

Sculpteur façonnant de l

Vers une cohabitation possible ou une remise en cause de l’essence même de l’art ?

Une ligne se brouille : celle qui séparait nettement l’artiste du public. Les outils de génération automatique redistribuent les rôles. Jean-Christophe Maillot, chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo, s’interroge sur la capacité des IA à véhiculer ce trouble, cette faille, qui font la singularité de la création humaine. Axelle Ropert, scénariste, redoute la standardisation imposée par des systèmes où l’originalité n’est qu’une variable mathématique, jamais un élan imprévisible.

Des expériences fleurissent, mettant à l’épreuve les limites de l’IA et de l’humain :

  • Le court-métrage Sunspring, scénarisé par l’IA Benjamin sous la direction d’Oscar Sharp, propose une intrigue absurde, fragmentée. S’agit-il d’une prouesse technique ou d’une simple curiosité ?
  • Mateusz Miroslaw Lis signe The Diary of Sisyphus, assemblage d’images générées automatiquement, qui questionne la notion même de sens et d’intention.

La démocratisation de la création artistique via la GenIA bouleverse les hiérarchies. D’anciens spectateurs deviennent auteurs, sans formation préalable, portés par la puissance de l’outil. Le modèle vertical, qui régissait la reconnaissance artistique, s’efface partiellement au profit d’une dynamique plus horizontale. La valeur symbolique et la reconnaissance sociale se recomposent, à mesure que les frontières de l’art se déplacent.

Benoît Hamon, ancien ministre, évoque l’idée d’une taxe sur les robots pour rééquilibrer la redistribution des richesses. Le débat déborde le champ esthétique. Reste la question de fond : l’œuvre peut-elle exister sans geste, sans doute, sans subjectivité ? Ou bien l’intelligence artificielle ne fait-elle qu’explorer ce que l’histoire de l’art n’a cessé de remettre en cause : ses propres frontières, et la redéfinition permanente du sensible ?

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